Custodio « Christophe » GOMES : du Portugal aux maquis du Morvan

Ce billet est à l’état « brouillon » depuis bien trop longtemps maintenant, donc je me prends par la main en ce 8 mai, jour de célébrations, pour le finaliser. La raison de cette procrastination est simple : il est pour moi particulièrement difficile d’écrire sur les personnes que j’ai connues. Jusque là je n’avais jamais tenté l’exercice, me contentant d’écrire sur les générations précédentes. Mais voilà : cet article va être consacré à mon Pépé, Christophe GOMES, et en particulier à la première moitié de sa vie.

Sa naissance au Portugal et ses premières années en France

Mon grand-père est né à Sobral de Mortágua (district de Viseu) au Portugal, le 9 mai 1919, il y a 100 ans (presque exactement). Il est fils d’Albano et de Maria da Encarnação, que j’ai déjà eu l’occasion d’évoquer dans un précédent article.

1919-05-09 naissance Gomes Custodio
Naissance de Custódio GOMES à Sobral – 1919 – Archives Municipales

Mise à jour du 18/09/2021 :

Au milieu début des années 1920, alors qu’il n’était qu’un enfant, la famille s’installe en France, dans le Morvan. Le père, Albano, part le premier avec son fils aîné Albert (c’est ce que je suppose en tout cas, mais les registres de passeports de Viseu des années 1920-1921 sont lacunaires). La mère le rejoint par la suite en 1923 avec le reste de la famille (Carlos Augusto « Charles » est le seul à avoir un passeport à son nom, les autres dont mon grand-père étant sans doute trop petits pour cela).

Registre de passeports de Viseu – 15/01/1923 – Maria da Encarnação et Carlos Augusto Gomes

D’après ce que j’ai pu reconstituer, la famille s’installe d’abord sur la commune de Sainte-Colombe-des-Bois (58) en 1922, puis sur celles de Dornecy (58) en 1923, Alligny-en-Morvan (58) en 1924, Gâcogne (58) en 1926, et enfin sur celle d’Ouroux-en-Morvan (58) en 1928. Mon grand-père fera donc toute sa scolarité en France, et perdra peu à peu son portugais jusqu’à l’oublier complètement. Son prénom, « Custódio » sera bientôt francisé en « Christophe. »

Christophe Gomes
Portrait de Christophe GOMES – Collection personnelle

Résistant : le Maquis Bernard

La deuxième Guerre Mondiale est déclarée l’année de ses vingt ans. Très vite, le Morvan se retrouve en zone occupée. Les temps sont durs, entre répressions, réquisitions, rationnement et privations.

Mais le Morvan, par ses caractéristiques géographiques (zone fortement boisée de moyenne montagne) offre un terrain idéal pour la résistance, et dès 1943, des maquis commencent à se former, attirant de nombreux jeunes hommes et femmes, qui souhaitent entre autre échapper au STO.

Le maquis qui va nous intéresser ici est le Maquis Bernard, qui naît au début de l’année 1944 et comptera jusqu’à 1200 hommes. Il mènera de nombreuses actions de sabotage, des embuscades et des batailles contre les troupes allemandes, bénéficiant de l’aide des habitants des hameaux alentour (hébergement des blessés, transport des parachutages, ravitaillement, cuisson du pain) et jouant un rôle capital dans la libération de la France.

Mon grand-père Christophe a rejoint le Bataillon Joseph, mené par Joseph Pelletier et dépendant du Maquis Bernard, le 23 août 1944. J’ai eu le bonheur de me procurer son dossier administratif de résistant au Service Historique de la Défense (cote GR 16 P 262159) par l’intermédiaire du Fil d’Ariane. Son appréciation indique qu’il « a participé à toutes les missions commandées par le chef.« 

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Etat de services – Dossier Administratif de Résistant – SHD cote GR 16 P 262159
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Certificat d’appartenance aux FFI – Dossier Administratif de Résistant – SHD cote GR 16 P 262159

Je suis allée avec lui à l’emplacement du maquis, quelques années avant son décès. Il n’en reste guère de traces, mis à part un cimetière franco-britanique. Je ne sais que peu de choses des missions qu’il a réalisées (beaucoup d’actions de sabotage) ; je me souviens surtout d’une anecdote : à un moment il s’est retourné et m’a montré un endroit un peu plus loin. « Tu vois le creux du chemin là-bas ? Et bien un jour que les habitants nous avaient apporté à manger, c’est là que j’ai fait tomber tout le contenu de ma gamelle dans la boue.« 

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Portrait de Christophe GOMES – Collection personnelle

Mariage et naturalisation

Après la libération et la fin de la guerre, Christophe va épouser ma grand-mère, Lucile BROT, le 1er mai 1946 à Montreuillon (58). On m’a toujours dit que c’était un mariage d’amour ; elle aurait dû se marier avec un autre, mais lorsqu’elle l’a rencontré elle a mis fin à ses engagements pour l’épouser lui. L’argent se fait rare après la guerre, la robe de mariée sera donc « faite maison » :

mariage Gomes - Brot
Mariage GOMES-BROT à Montreuillon – 1946 – Collection personnelle

Christophe sera naturalisé français le 16 septembre 1949 (décret 32146-47 d’après les relevés de Filae). Je n’ai pas encore récupéré les documents correspondants. Je me suis récemment procuré son dossier de naturalisation auprès des Archives Nationales. J’ai été agréablement surprise de recevoir un dossier de 40 pages contenant :

  • Une lettre de mon grand-père, datée du 29 août 1945, sollicitant l’autorisation de demander sa nationalité française auprès du préfet de la Nièvre
  • Un courrier de la Préfecture de la Nièvre, daté du 12 novembre 1947, par lequel le préfet transmet les pièces suivantes au Ministère des Affaires Sociales et des Anciens Combattants :
    • Une requête sur timbre avec photo d’identité
    • Une notice de renseignements remplie par le maire d’Ouroux-en-Morvan le 4 janvier 1946, reprenant
      • son état-civil : à noter que ses frères et sœurs ne sont pas dénommés, il est seulement dit qu’il a 4 frères et 3 sœurs
      • ses résidences successives
      • sa conduite, moralité et loyalisme : il jouit de la considération publique, a fait l’objet d’une condamnation en 1943, désire s’établir définitivement en France, n’entretient pas de rapport avec le Portugal, a perdu tout espoir de retour au pays, a eu une attitude favorable pendant la guerre et est entré au maquis, est politiquement neutre, sa famille a participé au ravitaillement des maquis
      • sa situation militaire : il n’a pas satisfait à la loi sur le recrutement car il attendait le départ de sa classe « 1940 », il est apte au service, un de ses frères s’est engagé en 1939 à la légion étrangère (il n’est pas précisé lequel)
      • son degré d’assimilation : il est complètement assimilé, a adopté nos usages, parle couramment français, sait lire et écrire, a fréquenté l’école publique française, sa naturalisation aura pour effet de créer une famille vraiment française
      • son utilité sociale : il est ouvrier agricole depuis l’âge de 13 ans, ses patrons ont été satisfaits de ses services, ses aptitudes professionnelles sont utiles à la culture, il y a pénurie de main-d’œuvre française dans sa spécialité
      • son état de santé : il jouit d’une bonne santé
      • sa situation de fortune : il gagne 3000 Frs par mois, est nourri et logé, il s’engage à payer 8000 Frs pour les droits de sceau, somme en rapport avec sa situation modeste d’ouvrier agricole
      • des observations : « sujet digne d’intérêt en raison des services rendus à la culture ; avis favorable« 
    • Une déclaration souscrite par mon grand-père, datée du 4 janvier 1946, par laquelle il sollicite la nationalité française, déclare qu’il est célibataire domicilié à Ouroux-en-Morvan, donne la liste de ses précédents domiciles en France et fournit ses antécédents judiciaires, à savoir une condamnation à 300F d’amende le 2 octobre 1943 pour coups et blessures par le Tribunal de Château-Chinon
    • Un extrait d’acte de naissance de mon grand-père
    • Un extrait d’acte de naissance de ses parents
    • Un extrait d’acte de mariage de ses parents
    • Un certificat de bonnes vies et mœurs, établi par le maire d’Ouroux le 4 janvier 1946
    • Un certificat de son employeur, Louis JOLY, propriétaire à Mont par Ouroux, daté du 5 janvier 1946 et attestant qu’il emploie mon grand-père depuis le 1er septembre 1945
    • Un certificat médical : non conservé
    • Un certificat des FFI attestant que mon grand-père y a servi du 23 août au 23 décembre 1944 au sein du Bataillon du Capitaine Pelletier
    • Un procès-verbal d’assimilation établi par le maire de Montreuillon le 24 octobre 1947, attestant qu’il est parfaitement assimilé et parle correctement la langue française
    • Un certificat de non imposition : non conservé
    • Un certificat de résidence, daté du 2 novembre 1947, par lequel le maire de Montreuillon atteste que Custodio GOMES habite au village de Marigny depuis son mariage célébré le 1er juin 1946
    • Un extrait de son casier judiciaire : non conservé
    • Un bulletin de vérification aux sommiers judiciaires daté du 3 octobre 1947 précisant qu’il y est inconnu
    • Un avis motivé de la Préfecture de la Nièvre sur le dossier : « Gomès Custodio est né le 9 mai 1920 à Sobral de Morgagna (Portugal). Célibataire, il réside chez ses parents à Ouroux (Nièvre) où il exerce la profession d’ouvrier agricole. L’intéressé est venu en France avec ses parents en 1922. Il a toujours résidé dans notre département, et n’a fréquenté que des écoles française. Il est parfaitement assimilé à la communauté française et parle couramment notre langue. Au point de vue militaire le postulant n’a jamais été recensé. Durant la Résistance il rejoignit un maquis F.F.I. du 23 août au 23 Décembre 1944. Gomès Custodio fut condamné par le Tribunal Correctionnel de Dijon, le 4 novembre 1942, à 300 Frs d’amende pour coups et blessures. Malgré cette incartade, il jouit d’une bonne réputation et les renseignements recueillis sur son compte sont favorables. Il ne semble pas s’intéresser aux questions d’ordre politique et son attitude à cet égard paraît correcte. Au point de vue professionnel, cet étranger qui donne entièrement satisfaction, est considéré comme un sujet digne d’intérêt. La requête de l’intéressé est recevable au regard de l’Ordonnance du 19 octobre 1945, du fait qu’il a sa résidence en France depuis plus de 5 ans. Malgré la légère condamnation encourue, et du fait que le postulant est susceptible de fonder un foyer français, je ne m’oppose pas à ce que sa demande de naturalisation soit accueillie favorablement.« 
  • Un courrier du Ministère de la Santé Publique et de la Population, daté du 10 septembre 1948, demandant si mon grand-père avait contracté mariage depuis sa demande, si oui de préciser la nationalité de l’épouse et d’envoyer une copie de son acte de mariage, ainsi qu’un nouvel extrait de son casier judiciaire et du relevé des sommiers judiciaires
  • Une lettre du préfet au Ministre de la Santé Publique et de la Population, datée du 29 juillet 1949, accompagnée desdits documents :
    • Une copie de son acte de mariage avec ma grand-mère Lucile BROT
    • Un bulletin de vérification aux sommiers judiciaires daté du 22 juillet 1949 précisant qu’il y est toujours inconnu
  • Un avis favorable de la sous-direction des naturalisations, avec les arguments suivants (je cite !) : élément jeune, métier utile, bons renseignements dans l’ensemble, bonne assimilation, riche, a épousé une française

Epilogue

Le couple s’installe à Marigny, commune de Montreuillon (58), village d’origine de Lucile. Ils y seront cultivateurs (Christophe deviendra chef d’exploitation au départ en retraite des parents de Lucile en 1954) et auront deux fils.

Ma mémé Lucile est décédée le 12 novembre 1991, à l’hôpital de Clermont-Ferrand (63), à l’âge de 66 ans, alors que je n’en avais que 6. Mon pépé Christophe est décédé dans son sommeil à Marigny le 14 août 2004, à l’âge de 85 ans, sans avoir jamais cessé de cultiver son jardin.

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Pépé et Mémé – Collection personnelle

14 réflexions sur “Custodio « Christophe » GOMES : du Portugal aux maquis du Morvan

  1. bealct

    C’est un très bel hommage ! Un joli texte avec plein d’émotion. Quel bonheur que d’avoir pu entendre de sa voix l’anecdote de la gamelle dans le creux du chemin ; ces moments sont magiques.

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  2. Monique Pulby

    Toujours très émouvant d’écrire un article sur des membres de sa famille que l’on a côtoyé. Mes grands parents étaient de la même génération et c’est vrai qu’ils ont mis beaucoup de silence sur leurs actions pendant le conflit de 39-45.

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