La vie mouvementée de Marguerite Justine LEPICIER

C’est aujourd’hui dans le département de l’Essonne que je vous emmène, à la rencontre de mon ancêtre biologique Marguerite Justine LEPICIER. Pourquoi cette précision, « biologique » me demanderez-vous ? Et bien parce qu’elle n’est pas mon ancêtre « officielle. » Je vous laisse vous remémorer cette histoire en consultant cet article au besoin. (A noter que j’ai bien validé grâce à des correspondances ADN qu’elle est mon ancêtre.)

Ses parents André LEPICIER et Marie Jeanne CANET

André LEPICIER est né en 1747 à Prunay-sur-l’Essonne (91), et Marie Jeanne CANET en 1751 à Videlles (91). Lorsque le couple se marie à Videlles le 18 novembre 1777, André est charretier domestique au hameau de Chêne Coupé de la même paroisse.

Ils vont tout d’abord s’établir sur la commune de Boutigny-sur-Essonnne (91) : André y a en effet trouvé une occupation de charretier au château de Marchais. C’est là que naîtront leurs trois premières filles, Marianne Elisabeth (1778-1861), Catherine (1780-an VII) et Marie Madeleine (1781-1781).

Mais très vite, le couple retourne à Videlles où naîtront les six enfants suivants : André Gabriel (1782-1783), Marie Jeanne Françoise (1784-1848), Marie Isidore (1786-1786), François (1788-1865), Jean Pierre Etienne (1790-1791) et enfin Marguerite Justine, neuvième et dernière de la fratrie, qui naît le 13 ventôse an II :

Naissance de Marguerite Justine LEPICIER à Videlles – 1794 – AD91

« Aujourdhuit traize ventose lan deuxième de la republique francoise une et indivisible et imperissable a sept heur du soir pardevant moy François Aubin membre du conseil generale de la commune de Videlles elu pour dresser les acts destinés a constater la naissance mariage et deces des citoyens est comparus en la maisons commune André L’Epicié chartié agé de quarante six ans domicillié en la commune de Videlles lesquel ma declaré que Marie Jeane Canet sont epouse en legitime mariage est accouché dune fille ce matin a six heur en sa maison lesquel etoit assisté de Jacques Canet vigneront age de quarante six an et Gabriel Marie Margueritte Metaut agé de vingt trois an tous deux domicilié en la ditte commune de Videlle departement de Seine et Oise ma presenté la ditte enfant au quel il a donné le prenom de Margueritte Justinne dapres cette declarations que le citoyen et la citoyenne Jacque Canet et Gabriel Marie Margueritte Metaut on certifié la verité et a la representations qui ma ete faite de l’enfant denomé je redigé en vertus des pouvoir quil me sont delegué le present acts que André L’Epicié pere de l’enfans et les deux temoins qui on declaré ne savoire signé faite en la maison commune le jour mois et an que dessus. »

La petite va très vite perdre son père, qui décède deux ans et demi plus tard, le 6 frimaire an V, à l’âge de seulement 48 ans, laissant la famille presque sans ressources.

Fille-mère… et suspicion d’infanticide

Marguerite Justine est âgée de 28 ans lorsqu’elle accouche d’un petit garçon le 8 mai 1822, qu’elle va prénommer François Hector LEPICIER (mon ancêtre).

Naissance de François Hector LEPICIER à Videlles – 1822 – AD91

« Du neuf mai mil huit cent vingt deux a midy acte de naissance de François Hector, du sexe masculin, né hier a quatre heures du matin chez sa mère, fils naturel de Margueritte Lepicier agé de trente ans demeurant en cette commune non marié. Les témoins ont été Louis Fuseneau Lebrun garde champêtre agé de trente six ans, et François Lepicier agé de trente deux ans tous deux demeurant en cette commune.
Sur la représentation de l’enfant et sur la declaration de Marie Jeanne Canet sage femme agé de soixante dix ans, qui a déclaré ne savoir signé, et les témoins ont signé avec nous après lecture faite
. »

Marguerite Justine a donc été accouchée par sa mère, qui est aussi sage-femme. Pas d’indice sur le père de l’enfant au niveau des témoins, vu que la déclaration est faite par son frère et le garde-champêtre (à moins de soupçonner ce dernier, mais à mon avis il était plutôt là à cause de sa fonction officielle).

Deux ans plus tard, Marguerite Justine est à nouveau enceinte. C’est ce qu’on apprend dans les délibérations du conseil municipal de Videlles :

Délibérations du conseil municipal de Videlles – 1793-1889 vue 130/679 – AD91

« Cejourd’hui huit octobre mil huit cent vingt quatre à dix heure du matin est comparu devant nous maire de la commune de Videlles, la nommée (Marie Jeanne Canet) veuve André Lépicier demeurant audit Videlles laquelle nous a declarée que Marguerite Justine Lépicier sa fille âgée de trente ans demeurant chez elle est enceinte quelle n’attend d’un instant a l’autre que l’heure de l’accouchement elle déclare l’auteur inconnu. Elle nous declare être dans une extrême misère par consequent depend de tous moyens de secours pour elle et pour sa fille en pareille cas elle nous a requis de donner un certificat pour que sa fille se rende à l’hospice d’Etampes, connaissant leur indigence nous avons fait droit à sa demande, et avons inscrit sur le registre la presente déclaration pour servir et valoir à ce que de raison ladite Marie Jeanne Canet a dit ne savoir signé.

Cejourdhui seize octobre mil huit cent vingt quatre, a sept heures du soir est comparut devant nous maire soussigné la nommée Marguerite Justine Lépicier accompagnée de la femm Nimier de Milli travaillant a rampailler les chaises ladite Marie Justine Lepicié nous a dit avoir fait son accouchement a l’hospice d’Etampe et quelle etait de retour chez sa mère Marie Jeanne Canet demeurant en cette commune de mardi au soir douze du courant et nous avons inscrit la présente declaration ce jour mois et an susdit.« 

J’avoue que la découverte de ce passage m’a laissée quelque peu dubitative… car je n’ai pas trouvé la naissance correspondante dans les registres d’Etampes ! Sur le coup je n’ai pas su quoi en conclure, même si certains scénarios un peu macabres me sont venus à l’esprit. Puis j’ai poursuivi ma lecture sur la page suivante… et il semble que je ne sois pas la seule dans ce cas :

Délibérations du conseil municipal de Videlles – 1793-1889 vue 130/679 – AD91

« Cejourdhui jeudi a sept heures du soir vingt un octobre mil huit cent vingt quatre
Est comparu devant nous maire soussigné de la commune de Videlles Marguerite Louise Desuire femme Tissier, laquelle nous a declaré que Marguerite Justine Lépicier lui a dit avoir accouché d’un enfant mâle sans vie ladite Marguerite Justine Lepicier nayant fait aucune déclaration de ce fait, elle me parais coupable d’enfanticide, et de ce nous allons en instruire Monsieur le juge de paix.
La dite Marguerite Louise Desuire femme Tissier nous a declaré ne savoir signé.
A la Mairie de Videlles le jour mois et an susdit.

Cejourdhui vingt trois octobre mil huit cent vingt quatre a cinq heures du soir est comparu pardevant nous Maire de la commune de Videlles soussigné la nommée Marie Jeanne Canet demeurant à Videlles laquelle nous a déclaré que Marguerite Justine Lepicier sa fille est absente de sa maison depuis hier a huit heures du matin sans lui avoir dit ou elle allait, de ce elle nous a requis de recevoir sa déclaration qui a été reçue en présence de Henry Flagy, et de Jean Louis Deneuville tous deux d’âge majeur demeurant en cette commune. Lesquels ont signé avec nous Maire la présente déclaration pour servir et valoir a ce que de raison.
Fait a la mairie de Videlles le jour mois et an susdit
. »

Je crois qu’il ne me reste plus qu’à aller écumer les archives de la Justice de Paix pour essayer d’en savoir plus, mais tout cela ne me dit rien qui vaille… Infanticide ou accouchement qui a mal tourné, difficile de se prononcer avec certitude. Une chose est sûre : une bouche de plus à nourrir n’était certainement pas une bonne nouvelle pour ces deux femmes déjà indigentes.

Marie Jeanne CANET va s’éteindre peu après ces événements, à l’âge de 74 ans : elle décède le 26 mai 1825, toujours à Videlles.

Son mariage avec un bohémien

Marguerite Justine va attendre encore quelques années avant de se marier, le 8 septembre 1827 à Champcueil (91), avec Vincent CROPAGE, dont on apprend qu’il est né… en Bohême !

Mariage CROPAGE-LEPICIER à Champcueil – 1827 – AD91

« Du huit septembre mil (cent vingt-sept) huit, dix heures du matin, acte de mariage du sieur Vincent Cropage, manouvrier, agé de cinquant un ans, demeurant en cette commune depuis plus de trent ans quils a fait déclaration de domicile en France né en Bohême le vingt deux janvier mil sept cent soixant seize, de Paxthui, de Therche en Boieme en Bixkour, fils majeur de feu François Cropage, et de feu Catherine Lemaire, de Bixkour, veuf en premier mariage de Victoire Adelaïde Castilleux, et de demoiselle Marie Margueritte Justine Lepicier, agé de trente trois ans, demeurant a Videlles, departement de Seine et Oise, ou elle est née le treize ventos ans deux de la Republique fille majeure de feu Andrée Lepicier, et de feu Marie Jeanne Cannet, son epouse, nous maire de la commune de Champcueil vu les actes de naissance des futurs, l’acte de décès de Victoire Adélaïde Castilleux aux registre civil de cette commune, les actes de décès de feu François Cropage, et de feu Catherine Lemaire, le trois may mil sept cent quatre vingt seize a Beau et Mien, les actes de décès de André Lepicier, et de Marie Jeanne Cannet […] »

Je n’ai pas fait plus de recherches sur les origines de Vincent CROPAGE (ou KROPARTZ) mais les lieux de l’acte m’ont l’air particulièrement approximatifs. Avec une mention spéciale au village de « Beau et Mien » !

Marguerite Justine va mettre au monde trois enfants. La première, Louise Aglaé (1828-1899) naît à Champcueil, les deux autres, Vincent Louis (1830-1874) et Vincent François (1832-1878) naissent à Videlles.

Vincent CROPAGE décède dès le 26 septembre 1832 à l’hospice d’Etampes (on le dit dans son acte de décès né à « Boroquine-en-Autriche »). Il se trouve que ce décès survient un peu plus d’un mois avant la naissance de son dernier fils, qui naîtra le 8 novembre.

Marguerite Justine se retrouve donc enceinte et en deuil… Je laisserai les adeptes de la psycho-généalogie analyser la suite à la lueur de cet événement.

On retrouve par la suite Marguerite Justine dans les tables du recensement de Videlles avec ses enfants. Elle y est dite journalière.

Recensement de 1836 à Videlles – AD91
Recensement de 1841 à Videlles (rue de la Croix Boissée) – AD91
Recensement de 1846 à Videlles (rue de la Croix Boissée) – AD91

Un nouveau malheur

En effet les événements semblent se répéter avec mon ancêtre François Hector, le fils naturel de Marguerite Justine. Ce dernier se met en couple avec la jeune Marie Rose MARQUIGNON, originaire d’Essonnes (91). Un petit garçon, François Victor LEPICIER, naît hors mariage le 31 mars 1848 à Saint-Maurice (94). Et François Hector décède le 11 mai 1849 alors que Marie Rose attend leur deuxième enfant. La jeune fille se retrouve donc enceinte et en deuil, sans même être mariée.

Marguerite Justine, qui vient donc de perdre son fils, accueille sa belle-fille chez elle à Videlles. C’est là que naîtra mon ancêtre Louise Désirée le 1er août 1849.

Naissance de Louise Désirée MARQUIGNON à Videlles – 1849 – AD91

« Du mercredi premier août mil huit cent quarante neuf onze heures du matin
Acte de naissance de Louise Désirée Marquignon, du sexe féminin née aujourd’hui à huit heures du matin chez madame Marguerite Justine Lepicier, veuve Cropage, journalière, âgée de cinquante cinq ans, demeurant en cette commune fille naturelle de Rose Marquignon, sans profession, âgée de vingt neuf ans, résidente chez la dite veuve Cropage.
Les témoins ont été Messieurs Adrien Ferdinand Jeulin, cultivateur, âgé de vingt huit ans, et Théodore Sugy, épicier, âgé de cinquant trois ans, tous deux domiciliés en cette commune et voisins de l’enfant.
L’enfant nous a été représenté et la déclaration faite par la dite Marguerite Justine Lepicier, veuve Cropage, qui a déclaré ne savoir signé. Les témoins ont signé avec nous Maire officier de l’état civil après lecture
. »

C’est là aussi que seront élevés les deux petits orphelins pendant leurs premières années, chez leur grand-mère, comme l’attestent les recensements.

Recensement de 1851 à Videlles – AD91

Par la suite ils retourneront vivre avec leur mère Marie Rose MARQUIGNON. Mon ancêtre Louise Désirée sera même légitimée par l’homme que sa mère épousera et portera ainsi le nom de GOURDON (la branche « officielle » mais non biologique donc).

Indigence, remariage et fin de vie

Mais les temps continuent d’être durs pour Marguerite Justine LEPICIER, dont la vie a été remplie de malheurs. Elle vit toujours dans l’indigence, comme nous l’apprennent les délibérations du conseil municipal de Videlles : de 1853 à 1856, elle est placée sur la liste des indigents de la commune, devant être admis aux secours gratuits en cas de maladie.

Délibérations du conseil municipal de Videlles – 1793-1889 vue 238/679 – AD91
Délibérations du conseil municipal de Videlles – 1793-1889 vue 259/679 – AD91
Délibérations du conseil municipal de Videlles – 1793-1889 vue 274/679 – AD91

Cet état est également confirmé par les recensements :

Recensement de 1856 à Videlles – AD91

Je suppose donc que son remariage, le 21 mai 1856 à Videlles, alors qu’elle a 62 ans, est un mariage de raison. Elle épouse Louis BABIN, lui-même âgé de 70 ans et déjà veuf par deux fois, et va s’installer chez lui à Dannemois (91).

Mariage BABIN-LEPICIER à Videlles – 1856 – AD91

Pour l’anecdote, Marguerite Justine sera recensée deux fois en 1856, une première fois à Videlles avant son mariage, et une seconde fois à Dannemois après son mariage !

Recensement de 1856 à Dannemois- AD91
Recensement de 1861 à Dannemois- AD91

C’est ainsi à Dannemois que décède notre protagoniste, le 7 juillet 1863, à l’âge de 69 ans, après une vie bien difficile, pavée de deuils et de misère.

Décès de Marguerite Justine LEPICIER à Dannemois – 1863 – AD91

« Du mercredi huit juillet mil huit cent soixante trois à sept heures du matin,
Acte de décès de Marguerite Augustine Lépicier sans profession, âgé de soixante neuf ans, née à Videlles (Seine-et-Oise) décédée hier à quatre heures du soir en son domicile en cette commune, fille de défunts André Lépicier et de Marie Jeanne Canet, épouse de Babin Louis.
Les témoins ont été Messieurs Jullemier Philippe Gabriel, buraliste âgé de quarante cinq ans et Taillard Florent cultivateur âgé de quarante huit ans, tous deux voisins de la décédée et domiciliés audit Dannemois ; Lesquels ont signé avec nous Maire, après lecture faite et le décès constaté par nous soussigné.
« 

8 réflexions sur “La vie mouvementée de Marguerite Justine LEPICIER

  1. wolfram2011

    Beaucoup de recherches effectuées et visiblement pas mal à venir aussi (ah la Justice de Paix…). Article très intéressant en tout cas avec une mention spéciale pour le village de Beau et Mien, bon courage pour le placer sur un carte 😆.

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