#ChallengeAZ : de l’utilisation du cadastre

Tout au long du mois de novembre, je publie l’histoire des maisons du village où j’ai grandi : Marigny, commune de Montreuillon dans la Nièvre. J’ai eu beaucoup de demandes sur la méthodologie utilisée, et je profite donc des dimanches de pause pour revenir sur l’utilisation des sources : après les recensements la semaine dernière, je vous parle du cadastre.

Plans, états de section et matrices cadastrales

Le cadastre napoléonien de la commune de Montreuillon a été mis en place en 1839. Mon point d’entrée a été l’étude des plans et des états de section associés.

Tandis que les plans des différentes sections sont consultables en ligne, il faut se rendre aux archives départementales pour consulter les états de section (sous-série 3P 179). Ceux-ci m’ont permis de déterminer qui était propriétaire de chaque bâtiment en 1839. En plus du nom des propriétaires, j’y ai récupéré leur numéro dans la liste alphabétique (ou numéro de folio), ce qui m’a permis de débuter mes recherches dans les matrices cadastrales.

Pour ceux qui ne sont pas familiers avec les recherches dans les matrices cadastrales, il suffit ensuite pour chaque maison d’avancer pas à pas, de propriétaire en propriétaire. Un exemple simple avec le folio 424 correspondant à Elisabeth, Marie et Pétronille TOURNOIS :

La maison située sur la parcelle G8-86 leur a été transmise en 1855 par le propriétaire portant le numéro 422. Elles s’en sont séparées en 1862 au profit du propriétaire portant le numéro 518. Il ne reste plus qu’à consulter les folios en question pour connaître la suite.

C’est simple et redoutable d’efficacité. De quoi retracer en deux temps trois mouvements l’histoire de toutes les maisons de Marigny ! Mais…. Parce que bien sûr il y a un mais !

Les limitations des matrices cadastrales

La première limitation que j’évoquerai ici concerne les dates. Il fallait en effet « un certain temps » avant que les mutations soient prises en compte au cadastre. Pour revenir à l’exemple précédent :

  • La mutation de 1855 a en fait eu lieu le 22 janvier 1854
  • Celle de 1862 a quant à elle eu lieu en deux fois le 4 juin 1860 et le 19 mai 1861

D’après ce que j’ai constaté, il y a en moyenne un à deux ans de décalage entre un changement de propriétaire (que ce soit par vente ou par héritage) et la date de mutation retenue par le cadastre.

Une des conséquences est que certains propriétaires qui n’ont gardé leur maison que très peu de temps peuvent être complètement zappés par le cadastre. J’ai ainsi ce cas :

  • ce qui s’est passé dans la réalité : A.THOMAS –> 17/03/1893 PIAT –> 18/03/1894 J.THOMAS
  • ce que c’est devenu au cadastre : A.THOMAS –> 1895 J.THOMAS

C’est simple et efficace disais-je… peut-être un peu trop parfois !

Les mélanges dans les matrices cadastrales

Le cas précédent relève plutôt d’approximations que de véritables erreurs. Parfois il y a cependant de petits bugs dans la matrice.

Premier exemple avec les biens de Léonard CHAPUIS, qui ont été partagés entre trois de ses enfants en 1887. Voici ce qui s’est passé dans la réalité pour ses trois maisons :

Et voilà comment ça a été traduit dans le cadastre :

En résumé : ils ont mal compris ce qui s’était passé lors du partage de 1887. Ils ont coupé en deux la mauvaise maison et ont mal attribué les parts. Ils ont pris en compte les mutations suivantes sans se rendre compte de leur erreur. Ils ont finalement réalisé le problème en 1894 et ont corrigé « ni vu ni connu ». Donc le point de départ et le point d’arrivée sont corrects, mais ce qui s’est passé entre les deux n’a rien à voir avec la réalité.

J’ai un deuxième cas similaire. Il s’agit de l’héritage de Léonard GRAILLOT. Voici ce qui s’est passé dans la réalité :

Je veux bien admettre que ce n’est pas simple (d’autant que j’ai moi-même simplifié ici ce qui s’est passé pour la parcelle 104 avant 1849… vive les indivisions !). Mais le cadastre a fait encore plus fort… Voici ce qu’il nous annonce :

Ici deux erreurs ont été commises en 1864, sauf qu’ils ne s’en sont jamais rendu compte, et donc c’est faux de bout en bout !

Les incohérences dans les matrices cadastrales

Un autre cas que j’ai rencontré sur plusieurs maison, ce sont les incohérences dans les augmentations et les diminutions. Une augmentation, c’est quand on construit une nouvelle maison ou qu’on l’agrandit ; à l’inverse, une diminution, c’est quand une maison est détruite ou convertie en bâtiment rural. Ces augmentations et diminutions font l’objet d’un registre à part.

Deux ensembles de maisons me posent problème de ce point de vue là.

Commençons comme il se doit par les maisons VIGNERON et ARNOUX (ce n’est pas pour rien que j’ai choisi I comme Imbroglio). Voilà tout ce qui s’est passé sur la parcelle 86 selon le cadastre :

  • une maison préexistait à l’établissement du cadastre 1
  • une construction nouvelle a été faite par Jacques TOURNOIS en 1848 2
  • une construction nouvelle a été faite par Jean aîné TOURNOIS en 1854 3
  • une construction nouvelle a été faite par François LOUAPT en 1855 4
  • une construction nouvelle a été faite par Léonard TOURNOIS en 1861 5
  • une maison appartenant à Jean jeune TOURNOIS a été convertie en bâtiment rural en 1873 4
  • une maison appartenant à Jean Louis GAUTHE a été démolie en bâtiment rural en 1886 3
  • une construction nouvelle a été faite par Jean Louis GAUTHE en 1887 4
  • une construction nouvelle a été faite par Antoine Léon COLAS en 1887 5
  • une maison appartenant à François LOUAPT a été convertie en bâtiment rural en 1887 4
  • une maison appartenant à Jacques TOURNOIS a été démolie en bâtiment rural en 1899 3
  • une construction nouvelle a été faite par Léger ARNOUX en 1899 4
  • une maison appartenant à Pierre GUILLAUME a été démolie en 1943 3
  • une maison appartenant à Georges COLAS a été démolie en 1943 2
  • je sais que la quatrième maison appartenant à Valentine ARNOUX a été démolie par la suite 1

Donc si l’on en croit le cadastre, il ne resterait plus qu’une maison sur la parcelle. Or il en reste trois, cherchez l’erreur ! Je vous ai donné mes meilleurs hypothèses dans mon article de la lettre I, mais vous comprendrez pourquoi je garde encore des doutes.

Un deuxième groupe de maison est tout aussi compliqué : il s’agit des maisons D, M et S. Toujours d’après le cadastre :

  • Les maisons D et S préexistaient à l’établissement du cadastre 2
  • La maison M appartenant à Philippe LABORDE a été construite en 1905 3
  • La maison D appartenant à Jean BOULANDET a été démolie en 1920 2
  • La maison S appartenant à Philippe LABORDE est devenue non imposable en 1926 1
  • La maison M appartenant à Philippe LABORDE a été convertie en bâtiment rural en 1943 0
  • La maison D appartenant à Philippe LABORDE a été construite en 1945 1

Donc il ne resterait qu’une maison sur les trois… Or je peux vous assurer qu’il en existe toujours deux (les maisons D et M). Ici on paie clairement le fait que les trois bâtisses ont à un moment donné appartenu au même homme, Philippe LABORDE. Il n’en fallait pas moins pour perdre le cadastre. Et donc là encore, il faut faire au mieux pour démêler et comprendre ce qu’ils ont voulu dire. Je n’ai malheureusement pas de solution miracle…

Les loupés dans les matrices cadastrales

Mais vous n’avez encore rien vu, il y a des loupés bien pire que cela ! Il y a notamment un cas que j’ai eu énormément de mal à démêler. Je vais essayer de vous expliquer le plus simplement possible.

Voici ce qui s’est passé dans la réalité sur les parcelles 78 et 66 (ce tableau est le fruit de longues heures de travail, de démêlage et de prise de tête… mais je suis aujourd’hui enfin sûre de moi) :

En ce qui concerne le code couleur :

  • en blanc les périodes où la parcelle était un bâtiment d’exploitation
  • en rose les périodes où la parcelle était une maison
  • en jaune le seul point commun entre ces deux parcelles, à savoir Antoine THOMAS

Et voici les élucubrations du cadastre, avec le même code couleur. Si vous trouvez que ça n’a rien à voir, et bien soyez sûrs que moi non plus :

Je vous énumère tout ce qui ne va pas ici :

  • non, Pierre DAIGNAULT et Pierre GUILLAUME n’ont jamais rien eu à voir avec la parcelle 78 ;
  • par contre la maison qui a existé sur la parcelle 78 entre 1843 et 1875 a disparu, tout comme ses propriétaires… sans doute un trou dans l’espace-temps ;
  • non, il n’y a jamais eu de maison construite sur la parcelle 60 en 1867, elle était sur la parcelle 66 depuis au moins 1850 ;
  • de plus la parcelle 66 semble elle aussi être tombée dans un trou de l’espace-temps entre 1844 et 1870 (si ce n’est plus).

Bilan

En résumé, vous aurez compris que le cadastre est toujours en retard, régulièrement approximatif, et parfois même complètement à côté de la plaque.

Mais malgré tout je ne voudrais pas que vous ne reteniez que cela. Le cadastre est une source formidable quand on souhaite se lancer dans la généalogie foncière. Sans lui mon projet aurait été impossible à mener, et même si j’ai beaucoup focalisé ici sur les difficultés rencontrées, la plupart du temps il est juste ! Il n’est simplement pas infaillible, et comme pour toutes les autres sources il ne faut pas hésiter à vérifier et croiser les informations.

10 réflexions sur “#ChallengeAZ : de l’utilisation du cadastre

  1. Je m’étais lancée dans cet exercice pour l’arrivée de mon ancêtre suisse à Versailles. Je me suis très vite perdue dans les folios 😕 Grand merci pour ce tuto qui me fait un support clair pour tout reprendre 🤗 J’ai la chance que tout soit en ligne ici.

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  2. J’adore faire des recherches dans les matrices cadastrales, mais ce doit être mon côté masochiste. On peut y apprendre beaucoup de choses mais cela reste complexe. Et même sans parler des erreurs, c’est un document administratif, avec ses codes, qu’il faut connaître, sinon, elles restent difficiles d’accès, je trouve.
    En tout cas, on voit qu’elles t’en ont fait voir de toutes les couleurs.

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  3. Murmures d'ancêtres

    Mon père et moi faisons un peu le même travail sur le hameau où il réside. On a trouvé des propriétaires inscrits au cadastre… morts depuis plusieurs années (30 ans pour le record). Pas toujours facile à utiliser le cadastre, je confirme. Sans compter qu’il ne prend en compte que les propriétaires (évidemment) mais pour faire l’historique des maisons il manque tous les locataires. C’est là que le travail de recoupement de sources prend tout son sens…
    Mélanie – Murmures d’ancêtres

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