A comme Alice : la maison de la Lilice

Pour ce ChallengeAZ 2023, je retrace l’histoire des maisons du village où j’ai grandi : Marigny, commune de Montreuillon dans la Nièvre.

La maison que je vais vous présenter aujourd’hui appartenait à l’origine à la famille BOUCHEPILLON. Mais je serai amenée à la désigner plutôt par le nom d’une de ses dernières propriétaires, l’Alice, surnommée Lilice.

La maison de la Lilice – 2023 – collection personnelle

La maison a très peu changé ces dernières années, comme on peut le constater sur cette photo datée de 1985 :

La maison de la Lilice – 1985 – collection personnelle

Antoine et Léonard BOUCHEPILLON

Dans le cadastre de 1839, la parcelle G8-76 (correspondant aujourd’hui à la parcelle AD43) était la maison d’Antoine BOUCHEPILLON :

Antoine BOUCHEPILLON est né à Marigny le 17 décembre 1810, de Pierre BOUCHEPILLON et Jeanne JEANGUYOT.

Les parents BOUCHEPILLON ont fait donation de leurs biens devant Me COTTIN, notaire à Ouroux, le 17 novembre 1832 ; la maison a été attribuée à Antoine suivant un partage réalisé devant Me CAHOUET à Montreuillon le 4 mai 1837. Aucun de ces deux actes n’est malheureusement consultable aux Archives Départementales.

Antoine a épousé Marie PERRIN le 20 mai 1833 à Montreuillon ; cette dernière était née le 4 avril 1816 à Montreuillon. Un fils, Jean-Louis, naît à Marigny le 21 octobre 1834. Malheureusement Marie PERRIN décède le 25 août 1837 à l’âge de seulement 21 ans.

Un inventaire après décès est réalisé le 23 décembre 1839. Parmi les objets inventoriés, on notera trois bois de lit en chêne, divers ustensiles de cuisines et outillages, un dessous de buffet très petit, une armoire en bois de chêne à deux volets, un rouet, une table à pieds doits et trois chaises.

Antoine BOUCHEPILLON épouse en secondes noces Anne COLAS le 2 mars 1840 à Mhère. Celle-ci est née à Douloin le 6 mai 1821. Antoine et son frère Léonard font alors un échange : le 4 décembre 1842 Léonard récupère la maison de la Lilice, et Antoine la maison située au niveau de la bergerie à COLAS (que je vous présenterai lors de la lettre S). Ne me demandez surtout pas la raison de cet échange…

C’est donc Léonard BOUCHEPILLON qui se retrouve propriétaire de la maison en 1842.

Léonard est né le 26 octobre 1813 à Marigny. Il a épousé Jeanne PERRIN le 20 mai 1833 à Montreuillon. Jeanne est née le 20 septembre 1814 à l’Huis Seuillot. Le couple a eu quatre enfants :

  • Pierre le 19 mai 1834 (il épousera Marie Anne GUILLIER en 1860) ;
  • Antoine le 15 novembre 1836 (il épousera Jeanne LAUMAIN en 1860) ;
  • Marie Pétronille le 5 janvier 1839 (elle épousera Philippe COURDAVAULT en 1858) ;
  • François le 18 avril 1841 (il épousera Jeanne COMTE en 1864).

Jeanne PERRIN décède peu après l’échange de maisons, le 13 juillet 1843 à l’âge de 28 ans.

Léonard se remarie le 4 novembre 1845 à Brassy avec Elisabeth EMERY. C’est là-bas qu’il ira vivre avec elle. Il se mariera une troisième fois le 16 juin 1859 avec Claudine DEVOUARD. En 1860, il est domestique chez M. JENNINGS, entraîneur de chevaux à Royallieu (80). Il finira sa vie à Corancy.

Suite à son premier remariage et à son installation à Brassy, Léonard revend la maison à Joseph FEBVRE et Marguerite BOUCHEPILLON, sa sœur et son beau-frère. La vente a lieu devant Me LIEBAULT notaire à Planchez le 29 juin 1846.

Marguerite est ainsi la troisième (et la dernière) de la fratrie BOUCHEPILLON à être propriétaire de la maison :

« Une chambre à foyer située à Marigny commune du dit Montreuillon fesant partie d’un corps de batimens dont le surplus appartient à Jean Louis Bouchépillon, grenier dessus la dite chambre, avec deux toits à porcs la joignant, cour pardevant du gros de la dite chambre et jardin à côté contenant environ quatre vingts centiares, puits dans la cour cidessus, le tout borné à l’est par le grand chemin de Marigny à Chassy, au sud par la cour des enfans de Léonard Thomas, à l’ouest par le pré et l’ouche de Jean Louis Bouchépillon, au nord par la chambre et la cour du même.« 

Claude RENAULT

En 1847, la maison change ainsi de famille : c’est le couple constitué par Claude RENAULT et Antoinette RENAULT qui s’y installe. La famille RENAULT restera propriétaire de la maison pendant quatre générations jusqu’en 2003, soit une durée de 156 ans !

Claude est né à Jeaux, commune de Mhère, le 13 octobre 1824. Antoinette est née à Marigny le 16 août 1830 : c’est la fille de François Marie Reine RENAULT et de Jeanne GAULON (maisons PERRINE et du Pitaine – lettres R et T). Le couple s’est marié à Chaumard le 25 novembre 1845, et c’est là que leurs deux enfants aînés sont nés : Jeanne le 21 août 1846 et Léonard le 9 août 1849.

C’est à Marigny qu’Antoinette RENAULT décède le 24 avril 1853 à l’âge de 22 ans. Claude RENAULT se remarie à Mhère le 30 avril 1857 avec Marie ROBBE, née le 3 mars 1835 en Mont, commune d’Ouroux-en-Morvan. Un fils, Etienne, naît à Marigny le 9 novembre 1858.

Les deux enfants du premier mariage de Claude se marient : Jeanne le 26 janvier 1864 à Mhère avec Jean-Léonard TISSIER de Daumont ; Léonard le 7 octobre 1873 avec Françoise DIOT de Château-Gaillard (cette dernière étant alors domestique à Marigny). Ces derniers resteront à Marigny mais iront s’installer dans la maison PERRINE (lettre R).

Lorsque vient 1876, date du premier recensement nominatif disponible pour la commune de Montreuillon, la maison est occupée par Claude RENAULT, son épouse Marie ROBEY, leur fils Etienne et leur petit-fils Etienne (le fils aîné de Léonard et Françoise DIOT, né le 21 juillet 1874).

Marie ROBBE décède le 14 juin 1880 à Marigny à l’âge de 45 ans.

Le fils, Etienne RENAULT est quant à lui en âge de faire son service militaire. Il fait partie de la classe 1878 (matricule 1429 du bureau de Nevers). Il est intégré au 44e de ligne fin 1879, passe soldat de 1e classe en septembre 1883 et est envoyé en congé en ayant obtenu un certificat de bonne conduite.

Fiche matricule d’Etienne RENAULT – AD58

Ainsi lors du recensement de 1881, Claude RENAULT est recensé seul dans sa maison de Marigny, sa femme étant décédée et son fils étant au service militaire.

Etienne RENAULT

De retour de l’armée, Etienne RENAULT épouse Marie Cécile BOULANDET le 6 février 1884 à Montreuillon. Elle est née le 2 mai 1861 à Marigny, étant fille de Jean BOULANDET et Marie FEBVRE qui habitent la maison BOUARD (lettre D).

Une petite fille prénommée Léonie naît le 18 octobre 1885 mais décède malheureusement dès le lendemain.

Le recensement de 1886 dénombre ainsi Etienne RENAULT, son épouse Marie BOULANDET et son père Claude RENAULT. Deux enfants les ont rejoints en 1891 : Jean dit Joseph, né le 13 avril 1887, et Etienne Auguste, né le 12 décembre 1890.

Le grand-père Claude RENAULT décède le 7 février 1892 à l’âge de 67 ans. Un partage de ses biens sera réalisé le 4 avril 1892 entre ses trois enfants :

  • Jeanne RENAULT épouse de Jean TIXIER propriétaire à Daumont ;
  • Léonard RENAULT maître maçon à Marigny (maison PERRINE – lettre R) ;
  • Etienne RENAULT propriétaire cultivateur à Marigny.

La maison revient sans surprise à Etienne RENAULT. Elle est ainsi décrite : « un bâtiment d’habitation et d’exploitation couvert en chaume, situé au dit lieu de Marigny, comprenant une chambre à feu, grange, écurie, fournier, grenier ou fenil sur le tout et cour devant, joignant au levant un chemin, au midi Thomas et autres, et au couchant et au nord Germain Prévotat » ainsi que « une petite écurie à porcs avec toit à volaille situés au même lieu, joignant au levant et au midi un chemin, au couchant et au nord la cour sus désignée.« 

L’origine de propriété nous informe que la maison d’habitation et le terrain dépendaient de la première communauté entre Claude et Antoinette RENAULT, mais que Claude RENAULT en avait racheté les droits le 1er septembre 1870 aux héritiers de sa femme. Quant aux bâtiments d’exploitation, ils ont été édifiés pendant le mariage RENAULT-ROBBE (il s’agit de la partie du corps de bâtiment qui se prolonge vers le sud, à savoir l’actuelle grange GOGUELAT et le fournier).

Une petite fille voit le jour dans la maisonnée le 16 octobre 1893, prénommée Jeanne Cécile.

En 1896, le foyer est donc composé de Etienne RENAULT, son épouse Marie BOULANDET, et leurs trois enfants Joseph, Auguste et Cécile. C’est toujours le cas en 1901 et en 1906. En 1911, on trouve en plus une enfant assistée, Raymonde GODARD.

Entre temps, les deux garçons ont fait leur service militaire : Jean au sein de la classe 1907 (matricule 1410 à Nevers) dans le 10e Régiment d’infanterie où il restera de 1908 à 1910 ; Etienne Auguste (matricule 1484 à Nevers) dans le même régiment à compter de 1911 et maintenu sous les drapeaux à la déclaration de la guerre.

Fiche matricule de Jean RENAULT – AD58
Fiche matricule d’Etienne Auguste RENAULT – AD58

Quant à la petite dernière, Cécile, elle se marie le 23 janvier 1912 à Montreuillon avec Dominique GOGUELAT, né le 4 février 1885 à Courboin, commune d’Ouroux-en-Morvan. Le couple va partir vivre à Paris ; ils reviendront quelques années plus tard à Marigny et s’installeront dans la maison voisine (lettre Q).

La guerre éclate en 1914. L’aîné Jean Joseph RENAULT n’en reviendra pas : mobilisé au sein du 10e Régiment d’Infanterie, puis du 48e Régiment d’infanterie à compter du 22 septembre 1915, il est blessé le 6 juin 1916 à Cumières (51) par éclat d’obus à la joue gauche et à la jambe droite. Il meurt de ses blessures de guerre le 17 juin 1916 à l’hôpital auxiliaire n°2 à Lyon.

Jean RENAULT – Mort pour la France – Mémoire des Hommes

De son côté, Etienne Auguste est maintenu au 10e Régiment d’Infanterie où il était encore en train de faire son service militaire. Il a un parcours haut en couleurs :

  • Il est condamné par le conseil de guerre de la 15e Division d’Infanterie à la peine de trois ans de prison à compter du 15 mai 1915, pour abandon de poste sur territoire en état de guerre. L’exécution de la peine sera tout d’abord suspendue jusqu’à la fin de la campagne, puis Etienne Auguste sera finalement relevé et réhabilité par arrêt de la Cour d’Appel de Bourges le 20 novembre 1916. Il passe au 27e Régiment d’Infanterie le 6 juin 1915.
  • Il reçoit une première citation le 14 août 1916 : « Au front depuis le début en petit poste, attaqué par une patrouille ennemie, s’est défendu vaillamment et a réussi à ramener un prisonnier dans nos lignes.« 
  • Il est nommé grenadier d’élite le 24 juin 1918.
  • Il reçoit une seconde citation le 11 novembre 1918, jour de l’Armistice : « Très bon soldat, ayant fait preuve du plus complet mépris du danger dans les attaques du 25 et 26 octobre 1918. A contribué à repousser une forte contre-attaque. »
  • Il reçoit la médaille militaire, la croix de guerre, étoile d’argent et étoile de bronze.
  • Il est finalement démobilisé le 7 août 1919.

Etienne Auguste RENAULT a eu plus de chance que son frère. De retour de la guerre, il épouse Marie dite Marie-Louise COLAS le 16 février 1920 à Montreuillon. Cette dernière est née à Marigny le 14 avril 1893, de Léon COLAS et Pétronille Marie GAUTHE qui vivent dans la maison ARNOUX (lettre Z). Une petite fille prénommée Alice Marthe voit le jour le 22 octobre 1920.

Lors du recensement de 1921, on retrouve donc dans la maison : Etienne RENAULT et son épouse Marie BOULANDET, leur fils Auguste et son épouse Marie Louise COLAS, et leur petite-fille Alice.

Etienne Auguste RENAULT

Le 25 août 1926, Etienne RENAULT père transmet la maison à son fils Etienne Auguste via une donation-partage.

Auguste RENAULT et Marie-Louise COLAS – collection personnelle

Lors des recensements de 1926 et 1931, une partie de la famille a investi le fournier tandis que l’autre est restée dans la maison principale. :

  • dans le fournier, on trouve Etienne RENAULT, le père, et son épouse Marie BOULANDET, puis Marie BOULANDET seule vu qu’Etienne décède le 16 février 1931.
  • dans la maison, il y a Etienne Auguste RENAULT, le fils, avec son épouse Marie-Louise COLAS et leur fille Alice, que vient rejoindre un petit frère, Henri Maurice, né le 26 décembre 1928.
Le fournier – Collection personnelle

Au recensement de 1936, tout le monde est de retour dans la maison principale, laissant le fournier vacant. On a donc : Etienne RENAULT et son épouse Marie-Louise COLAS ; leurs enfants Alice et Henri ; ainsi que la grand-mère Marie BOULANDET. Les mêmes composent toujours le foyer en 1946, même si Henri est absent pour une raison que j’ignore (il était peut-être placé quelque part comme domestique ?).

La grand-mère Marie BOULANDET décède le 21 février 1952 à Marigny à l’âge de 90 ans.

La famille RENAULT devant leur maison (collection B.LABORDE)
En haut : garçon inconnu, Henri / En bas : Alice, Marie-Louise et Auguste RENAULT

Le fils de la famille, Henri, resté célibataire, ira s’installer dans le haut du village, dans la bien nommée « maison de l’Henri » (lettre U) dont il fera l’acquisition vers 1966.

Auguste RENAULT décède le 4 novembre 1969 à l’âge de 78 ans. Son épouse Marie-Louise COLAS le suivra le 22 janvier 1972 à l’âge de 78 ans également.

Leur fille Alice, handicapée et restée célibataire (la fameuse « Lilice »), restera vivre dans la maison. Elle s’éteindra à son tour le 8 mai 1994 à Lormes, où elle avait été placée les dernières années. Suite au décès d’Alice, la maison restera inhabitée, jusqu’à être rachetée en 2003 par des franciliens, les SCHNEBELEN, qui en ont fait leur maison de vacances.

28 réflexions sur “A comme Alice : la maison de la Lilice

    1. Merci ! Ce sera plutôt pour après, j’ai en tête quelques billets sur les difficultés que j’ai rencontrées… Le résultat final ne le montre pas mais pour certaines maisons j’ai fait de mauvaises interprétations à plusieurs reprises, jusqu’à trouver l’acte qui m’a permis de corriger. Il reste sans doute des erreurs d’ailleurs.

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      1. Et bien, on est visiblement nombreux à avoir été accrochés par ce 1er article, et personnellement :
        * je me suis toujours dit que tout point de départ, même une personne inconnue, donnerait forcément lieu à des recherches intéressantes
        * je n’ai jamais fait de recherches à partir des cadastres et des maisons, donc je vais apprendre plein de choses
        ^^

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