Quand les actes notariés révèlent des différends familiaux

Ce que j’aime avec les archives notariées, c’est qu’elles nous permettent de mieux connaître nos ancêtres. Les inventaires après décès nous permettent de rentrer dans leur maison, les actes immobiliers de jauger leur fortune, les contrats de mariage et les donations d’appréhender quelles étaient leurs préoccupations, les testaments de révéler des affinités… et parfois, au détour d’un acte, on découvre des différends familiaux.

Parmi les différents actes trouvés aux Archives Départementales de la Nièvre cet été, deux entrent dans cette catégorie. Et je vais de ce pas vous les présenter.

Chacun pour soi chez les BILLARDON

Le premier acte concerne mes ancêtres Bernard BILLARDON (1714-1784) et Jeanne PETITIMBERT (1719-1789). Le couple, marié depuis 1737, a eu au moins dix enfants. Ils sont laboureurs à Marigny, village où j’ai grandi dépendant aujourd’hui de la commune de Montreuillon (58).

L’affaire qui nous préoccupe se produit en 1782. Mes ancêtres sont alors relativement âgés (68 et 63 ans), et ils vivent en communauté avec leur fils Léonard, âgé de 30 ans, et son épouse Marie COURDAVAULT. Ces derniers sont pour moi des collatéraux (je descends d’un autre fils prénommé Pierre, décédé trois ans auparavant).

Et Léonard, en l’occurrence, vient de faire une acquisition : le 11 novembre 1782, il a acheté le tiers d’un bâtiment, jardin et aisances au village voisin de l’Haut de la Chaux, paroisse de Mhère (58). A cet effet, il a emprunté de l’argent à son voisin Claude MINEAU.

Déclaration BILLARDON à Montreuillon – 1782 – AD58

Mais Bernard et Jeanne ne sont pas d’accord ! Ils se rendent donc chez le notaire de Montreuillon une semaine plus tard, le 17 novembre 1782. Je vous laisse savourer :

Cette acquisition a été faite contre les volontés dudit Bernard Billardon et Petitimbert sa femme qui déclare qu’elle leur seroit plus prejudiciable qu’avantageuse ; ayant égard que ce sont des bâtiments en mauvois état et qui ne produise aucun revenue

Alors pas question de payer les intérêts de l’emprunt, ni d’hypothéquer leurs biens pour une pareille acquisition ! Ils conviennent donc que les immeubles resteront propres au seul Léonard BILLARDON et sa femme : ni Bernard, ni Jeanne, ni aucun de leurs autres héritiers ne pourront rien y prétendre ; et bien sûr il acquittera seul les obligations contractées à cette occasion.

Non mais !

Manque de solidarité chez les CLEMENT

Le deuxième cas est contemporain du précédent vu qu’il se produit en 1783. Mon ancêtre Dominique CLEMENT est alors âgé de 55 ans. Il est veuf de Marie LEFIOT depuis trois ans déjà. Ils ont eu quatre enfants, dont deux ont vécu : Philibert (qui a épousé Madeleine RABEUX en 1775) et Jeanne (qui a épousé Pierre GUDIN en 1777). C’est de ce deuxième couple que je descends. Tous habitent à Chassy, paroisse de Mhère (58).

Or Dominique, qui est simple manouvrier, a accumulé quelques dettes. Il demande donc de l’aide à son fils et à son gendre. Je vous laisse constater :

Lequel a dit qu’etant débitteur de plusieurs créanciers, qui luy font journellement des poursuittes, sans qu’il puisse les payer, a moins quil ne vende tous ces biens tant hereditaires de ses père et mère qu’aquets et conquets ; pour evitter qu’ils ne passent en main etrangere il auroit invitté plusieurs fois Pierre Gudin son gendre et Philibert Clement son fils laboureurs demt au même lieu de Chassy de les acquitter, pour le tranquiliser, aux offres qu’il leur faisoit de leur abandonner la jouissance et propriété de tous ces biens immeubles, ledit Philibert Clemant si étant toujours refusé, ledit Pierre Gudin plus humain luy a accepté, celuy cy, ci présent en personne a dit quil ne laccepte que par amitié et consideration pour luy tel qu’un gendre doit faire pour un beaupere, pour le tranquiliser et le tout sans tirer a consequance,

Heureusement que son gendre était là, car Philibert a refusé de faire jouer la solidarité envers son père. Dominique CLEMENT et Pierre GUDIN se rendent donc chez le notaire de Vauclaix (58) le 12 novembre 1783.

Acquisition GUDIN-CLEMENT à Vauclaix (signatures) – 1783 – AD58

Dominique cède ainsi à son gendre tous ses biens immeubles situés au village de Daumont. Il s’agit là du tiers en indivis des « maison chambre, grange, ecurie, cours, jardin, ouches, prés, terres, bois, buissons, eaux, cours d’eaux, aisance et dépendances » qu’il partage avec ses frère et sœur Antoine et Françoise CLEMENT, évalués à la somme de 500 livres.

En échange, Pierre GUDIN s’engage à acquitter toutes les dettes de son beau-père, même si le montant en venait à dépasser cette somme. Il promet également « de luy donner par chacun an deux boisseaux de bled seigle mesure de la ville de Lorme, pour luy aider a vivre dans le carthier d’hivert, s’oblige encore de le loger, blanchir et racommoder son linge suivant son etat. »

L’histoire ne dit pas à quel point la situation de Dominique CLEMENT était ruineuse. J’imagine que si son fils Philibert a refusé de s’en mêler, quitte à voir son héritage partir aux mains de son beau-frère, c’est que ça ne devait pas être brillant… Pour autant mon ancêtre Pierre GUDIN a préféré suivre sa conscience (son humanité, selon les termes du notaire) et secourir le père de son épouse. J’espère pour lui qu’il n’en aura pas été trop pour ses frais !

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